« Mon père se savait en danger. » Cinquante-deux ans après la disparition de Mehdi Ben Barka, son fils, Bachir, garde des souvenirs très nets de cette période. Attablé dans un café parisien, il se souvient de cette année 1965. La famille s’était installée au Caire : « Les Egyptiens nous ont dit de changer de maison, par sécurité. » Celui qui est devenu le gardien du combat pour la mémoire de son père l’affirme : celui-ci avait déjà fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat au Maroc, mais aussi à Genève.
A l’époque, Mehdi Ben Barka est une figure de la gauche marocaine. Né en 1920 à Salé, près de Rabat, il s’est engagé très tôt dans la lutte contre le protectorat français. A l’indépendance en 1956, le roi Mohammed V en fait le président de l’Assemblée nationale consultative, mais Ben Barka prend rapidement des positions très critiques envers le régime. Il fonde l’Union nationale des forces populaires (UNFP) qui, avec l’Istiqlal, autre parti de l’opposition, obtient plus de 50 % des suffrages aux élections législatives de mai 1963. La répression qui s’ensuit est massive. Par deux fois, Mehdi Ben Barka est condamné à mort par contumace : en 1963, accusé de haute trahison lors de la Guerre des sables contre l’Algérie, et en 1964 pour complot contre Hassan II.
Ennemi numéro un de la monarchie, l’homme est étroitement surveillé par la France, comme en témoignent les documents déclassifiés du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece) dont les premières notes sur l’opposant datent de 1941 et s’étoffent à partir de 1957 : quarante pages dactylographiées où sont consignés, jour par jour, presque heure par heure, ses déplacements, ses rencontres, ses relations avec les dirigeants politiques marocains et étrangers, ses prises de position mais aussi ce qu’en disent les autorités marocaines. Viennent ensuite douze pages sur sa vie politique puis cinq « d’analyse des informations reçues [sur lui] depuis janvier 1963 ».
Transmis en janvier 1966 à Georges Pompidou, alors premier ministre, le dossier est sans équivoque sur les intentions du pouvoir marocain. A la date du 13 mars 1964, le Sdece écrit : « Le gouvernement marocain serait décidé à supprimer Ben Barka. Cette mission aurait été confiée à trois membres des services secrets marocains dirigés par Ahmed Hassini, chargé des questions opérationnelles. » Puis, en avril 1964 : « […] Certains milieux diplomatiques marocains n’ont pas hésité à dire que “sa disparition arrangerait bien les choses”. »
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