Des publis en trop. Marianne Alunno-Bruscia, déléguée à la déontologie et à l'intégrité scientifique à l'Ifremer, l’a découvert à l'occasion d'une veille bibliographique : onze publications, dont deux dans des revues prédatrices, mentionnaient dans la liste des auteurs un chercheur de l’Institut brestois, sans qu'il soit au courant ni même qu'il ait participé aux travaux de près ou de loin.
Emprunt de réputation. Si le terme “usurpation d’identité” peut sembler exagéré, la pratique — forged authorship en anglais — consiste en l’ajout de scientifiques bien établis parmi les co-auteurs d'une publication, tel le directeur d’un gros laboratoire IBM, certainement pour la rendre plus crédible. Mais vu la qualité des articles publiés (voir l’interview du chercheur usurpé ▼), ils entachent la réputation du chercheur et de son institution.
Conscience. « On ne pouvait pas laisser passer car cela constitue un préjudice pour l'Ifremer. J'ai donc contacté les auteurs et les revues pour demander le retrait du nom du chercheur de l'Ifremer, voire la rétractation des articles », raconte Marianne Alunno-Bruscia.
(Presque) jamais vu. Le cas de l’Ifremer est assez unique en France et la déontologue, anciennement chercheuse en écologie marine, n’avait que peu de précédents sur lesquels s’appuyer. La base de données de Retraction Watch comptabilise 539 articles rétractés pour cette raison, dont une poignée en France, et rapportait en 2010 un de ses premiers cas.
Absence d'explications. Plusieurs mois après, l'un des auteurs usurpateurs a répondu de mauvaise foi mais silence radio du côté des revues. « Ça prend du temps… j'ai appris la patience ! », raconte Marianne Alunno-Bruscia. Aujourd'hui, trois revues n'ont toujours rien fait, les autres ont retiré le nom du chercheur ou l'article en entier mais sans le notifier. Une pratique non conforme aux règles du COPE, le comité d'éthique international des maisons d'éditions.
Renvoi de balle. C’est en effet sur les revues que repose la responsabilité de veiller à l’authenticité des travaux et des auteurs. En pratique, chez EDP Sciences comme chez beaucoup d’autres éditeurs, une notification est envoyée automatiquement à tous les co-auteurs, comme l’explique sa directrice Agnès Henri : « S'ils ne sont pas co-auteurs, ils doivent en principe réagir ».
Vos papiers, SVP. Il est plus rare que les éditeurs contactent chacun des co-auteurs pour avoir leur signature et certains, notamment dans les revues prédatrices — mais pas que ! — ne procèdent à aucune vérification. Il faut dire que le “flicage” des chercheurs n'est pas dans leur culture. « Le plus gros défi auquel nous faisons face est que l'édition scientifique était basée depuis des décennies sur la confiance », d'après l'équipe intégrité de Springer Nature.
Tsunami. Les maisons d’édition doivent en effet contrer l’augmentation de comportements peu éthiques découlant de la pression à la publication sur les chercheurs. Dans la catégorie “usurpation d'identité”, se nichent également les cas de faux reviewing ou les faux comités de conférences prédatrices, dont on vous reparlera plus amplement.
Effet papillon. « Cela demande aux maisons d’éditions d’être de plus en plus vigilants et de consacrer de plus en plus de temps pour gérer les cas éthiques, les anticiper et mettre en place des méthodes de contrôle, témoigne Agnès Henri. Cela augmente donc forcément les coûts de publication et demande aux personnels de s’adapter à de nouvelles tâches. »